Jimi Hendrix

JIMI HENDRIX

    Hors-la-loi, maintes fois sauvé des maisons de détention, Jimi Hendrix crache la tête du serpent qui se mord la queue. A la source de tout feu, sur ses lèvres écumantes, entre ses mains : le même chant vaudou – rite de passage, de transgression. Jimi, c’est la stratosphère, l’espace, l’air, le fond génésique, la langue volage et sensuelle. Il est l’homme que l’on voit dans ce va-et-vient incessant.

   Un beau jour, il est apparu, un linge sanglant entre les cuisses.

   Et un autre jour, la lune a reconnu son enfant.

   Il est temps de tirer les conséquences actives de l’audition qui nous a transformé. Toute émotion que l’instinct équilibre est une émotion qu’on ne peut oublier. Un voile pourpre enveloppe ses épaules, des franges prolongent ses bras de géant ; inconscient du danger (il n’aura pas trente ans), il rassemble ses forces à la tête de mille cavaliers. Tandis que les sectateurs s’épuisent, il organise, suivant la loi du ciel, l’ultime affranchissement.

   Jimi exalte la musique en l’accomplissant : belle, naturelle, sauvage, torrentueuse, polyphonique, apocalyptique, surgissante. Jimi Hendrix n’est pas virtuose bien qu’il soit le plus virtuose de tous. Quand d’autres récitent leurs gammes, lui réinvente le ton : quinte augmentée tierce mineure septième majeur sur basse jazzy basse continue quarte augmentée note bleue étirée rafale de fuzz wah wah des muses langue de vipère soli solo par derrière guitare distorsionnée vulcanisée en bandoulière hymne à la joie d’être jeune dans la tête… Il envoie tout foutre en l’air, partie de fesses groovy au septième ciel… Et puis le son : sa couleur, sa timbralité, son urgence, sa précarité ; la polyrythmie exige du musicien une écoute spatiale en accord avec le temps. Ce qui frappe l’imagination dans un solo déjanté de la fusée Hendrix, c’est combien plus il boit à notre santé et plus c’est nous qui sommes ivres !

   L’afro black provient d’une région que personne n’habite.

   Débarqué à New-York, Mecque des Freaks, il rompt l’accord du décor de Brooklyn par ses extravagances vestimentaires. Il n’avait pas le temps de plaindre notre sort, et il le savait. Dans quel temps se déplace la petite aile ? – aucun n’osa plus par la suite se projeter de cette façon. Personne n’osa plus par la suite remettre en cause la raison. La vie plus vaste que ce que nos yeux voient, moi dans un coin, toi dans l’autre…

   Jimi traverse le plafond, saute dans des flaques d’eau, crève l’écran, fait rugir l’atmosphère, le crépuscule rougit, complètement subjugué. Depuis le jour de ma naissance, je n’ai pas connu plus grande absorption dans le son… Son visage grimace chaque note – décidément les instruments, entre ses mains, semblent trop petits. Il s’étire le muscle en acier en actionnant la tige vibrato, change de pulsation en écrasant le potentiomètre : aigu, basse, rondeur, chaleur, douceur s’harmonisent pour engendrer un sublime chaos.

Nous n’avons pas le contrôle sur le monde et il n’y a que des imbéciles pour croire encore que le chaos pourrait s’harmoniser.

   Jimi n’est pas resté, d’autres tigresses à fouetter, sans doute… les châteaux se font, se défont dans le sable, éventuellement. Un soir, Jimi s’est évadé pour une lumière plus vive, un monde où la matière n’avait pas encore pris le commandement : il n’est plus jamais revenu. Si on ne se voit pas dans ce monde, chante-t-il, on se verra dans le prochain… Compte sur moi, Jimi, je ne serai pas en retard.

   Tes yeux verront le feu du ciel lorsque l’ancien mourra en toi. Le temps est proche, le temps est loin. Le temps s’évanouit dans le vertige. On n'a plus le temps.

   Brouilleur de pistes, falsificateur d’itinéraires, il est ce théâtre où tout devient vrai : Si 6 devient neuf, alors tu me verras flotter… mon seul souhait pluvieux est d’avoir une petite maîtresse audacieuse comme l’amour…

   Échappés du ciel, vous seuls vous rendez compte combien il n’y a rien à dire. T’es-tu déjà promené au croisement des trafics aériens manant !? Sa voix se passe de mots ; il donne de la voix en heurtant les gongs, et les trompes de gémir dans nos voûtes crâniennes qui renvoient aux échos… Pareil à une masse tournoyante de fumée, bouleversé par l’inspiration, il ouvre le grand trou noir au milieu des prairies, s’agite, se démultiplie, se castre pour mieux sexualiser sa musique, écume son menton comme pris de rage, de fous rires par les sourires qu’il voit dans les nuages d’encens. Le temple de nos corps vibre et c’est rythmiquement que l’homme ivre reprend sa marche vers l’harmonie.

   J’ai vu Robert Johnson sortir de sa tombe comme un mangeur de boue car il n’en croyait pas ses oreilles.

   Ô monde, tes mutations n’ont pas de trêve, et chaque époque semble tellement masturbatoire…

   Nous savions qu’un jour un homme viendrait nous apprendre à faire parler l’électricité, personne n’imaginait, en l’évoquant, qu’il brandirait, dans ses mains... la foudre !